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L’Histoire, contributrice d’une éducation à la citoyenneté mondiale ?

Dès les années 60’s, à l’aube des processus de mondialisation et des changements qu’ils allaient provoquer sur le monde, James Henderson, chercheur à la University College London, forgeait le terme ‘world studies’ pour adresser l’importance d’ouvrir l’éducation et les apprenant·e·s sur le monde. Approfondissant cette tendance et inspiré notamment par Paulo Freire, Richardson établit dès les années 70’s un cadre pour appréhender les phénomènes globaux, et identifie quatre problèmes principaux qui s’inscrivent à l’échelle du monde : l’environnement, la pauvreté, l’oppression et les conflits.  L’objectif dès le départ est d’inscrire dans les parcours scolaires la promotion de valeurs, de compétences et d’attitudes jugées fondamentales pour vivre en citoyen·ne responsable dans un monde globalisé et interconnecté. Parmi les outils que ces précurseurs de la ‘global education’ proposent pour infuser l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) dans l’éducation, l’enseignement de l’histoire joue un rôle fondamental. Les cours d’histoire sont vus comme des lieux par excellence où mettre les élèves en contact avec la ‘world history’, c’est-à-dire l’étude des interactions entre peuples, cultures, histoires et trajectoires, et la conscience que ces rencontres forment la trame de l’histoire commune de l’humanité. En résumé, l’enseignement de l’histoire est vu comme un levier pour développer chez les étudiant·e·s une conscience de l’interdépendance. Au cœur de cette idée réside aussi une approche de l’histoire comme complexité, prétendant s’éloigner d’un ‘narratif du vainqueur’, marqué le plus souvent par un ethno-centrisme bien différent des réalités historiques.

Ainsi, dès le départ la relation entre histoire et ECM est centrale dans la pensée des précurseurs de la ‘global education’.

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Cécile Giraud, experte ECM d’Annoncer la Couleur – Wiki-Lunch 11/02/2020

À travers les années 80’s, 90’s et 2000, les recommandations pour atteindre les objectifs de l’ECM dans les milieux scolaires vont poursuivre dans cette voie et mettre en lumière le rôle clé de l’histoire et en particulier du cours d’histoire. En 2008, le ‘Global Education Guideline’, qui se veut un guide à l’attention des praticien·ne·s, professeur·e·s et formateurs·rices, épingle trois domaines de connaissances-clés pour l’ECM. Le premier est la connaissance des processus de globalisation et de développement des sociétés humaines, confirmant la place prépondérante du cours d’histoire et du rôle de l’histoire pour éduquer à la citoyenneté.

En communauté française, l’enseignement de l’histoire est compris depuis 20 ans dans cette perspective, comme le consacre le référentiel élaboré en 1999 ‘compétences terminales et savoirs requis’ qui souligne que la finalité du cours d’histoire est d’aider les jeunes à se situer dans la société et à la comprendre afin d’y devenir acteurs·rices à part entière. Dans les référentiels aujourd’hui en cours d’élaboration, on retrouve la même idée : la formation historique a pour finalité fondamentale d’aider les jeunes à comprendre le monde d’aujourd’hui pour leur permettre d’être, demain, des citoyen·ne·s responsables.

C’est donc cette question de la place de l’histoire dans l’éducation à la citoyenneté mondiale qui a animé le Wiki-Lunch du 11 février 2020. Deux intervenants se sont succédé, tout d’abord Julien Paulus, Coordinateur – Service Éditions et Études @Les Territoires de la Mémoire, Rédacteur en chef de la revue Aide-mémoire, et Christian Charlier, Inspecteur d’Histoire au degré supérieur. Le Wiki-Lunch a été introduit par Florence Depierreux, coordinatrice du programme ‘Annoncer la couleur’, qui a clarifié les différentes dimensions de l’ECM et son rapport à l’histoire. En effet, les trois dimensions conceptuelles de l’ECM (cognitive, socio-affective et comportementale) peuvent être nourries par les cours d’histoire, qui permettent de développer les connaissances portant sur les interdépendances, mais aussi le sentiment d’appartenance à une humanité commune et la connaissance de l’Autre, pour enfin agir de manière responsable et informée.

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Julien Paulus – Wiki-Lunch 11/02/2020

Julien Paulus nous a ensuite rappelé le rôle de la mémoire, en tant qu’elle contribue à faire des sociétés des entités cohérentes, fondées sur des valeurs, des normes, et des imaginaires communs. La mémoire est de ce fait un puissant vecteur d’identités. Mais la mémoire n’est pas univoque. Il existe des mémoires collectives qui font consensus et qui renvoient à l’imaginaire collectif qui cimente les sociétés, et il existe aussi des mémoires dissidentes, alternatives, qui peuvent agir sur la vérité officielle instituée et la remettre sur le métier, alimentant ainsi un travail de mémoire. Le lien entre mémoire et identité, ainsi que la possibilité critique de mettre en débat les mémoires alternatives rejoignent les préoccupations de l’éducation à la citoyenneté mondiale pour le développement d’une conscience identitaire commune et d’un esprit critique et tolérant.

En tant qu’inspecteur d’histoire, Christian Charlier nous a apporté un regard initié sur la place et le rôle de l’histoire dans les cursus scolaires. Il nous a rappelé la finalité du cours d’histoire telle qu’envisagée par les décrets et référentiels, qui est de « préparer les élèves à être des citoyens responsables et des acteurs de la société grâce à une compréhension du monde d’aujourd’hui et à l’apprentissage et la mise en œuvre d’outils critiques ». Grâce à sa position ancrée dans la pratique et le quotidien de l’enseignement, Christian Charlier nous a rappelé la difficulté qui se pose souvent aux enseignant·e·s qui sont certes tenu·e·s de respecter des thématiques dictées par les programmes et de les aborder en classe, mais à qui est laissée la responsabilité de la matière spécifique et de la manière dont aborder cette matière (par exemple, l’enseignant-e est tenu-e de voir le Moyen-Âge avec ses élèves, mais il peut décider des thématiques spécifiques à aborder à l’intérieur de la période historique, et de la manière de l’aborder).

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Christian Charlier – Wiki-Lunch 11/02/2020

Les questions qui ont suivi ont soulevé la question de la diversification des identités des élèves, qui pousse parfois les enseignant·e·s à refuser d’aborder certains événements historiques, par crainte de raviver des conflits identitaires ou de mémoires.  Les interventions ont souligné l’importance d’apprendre aux enseignant·e·s à gérer démocratiquement les débats qui découlent de ces questions, plutôt que de les encourager à ne plus aborder certaines questions clivantes en classe (situation israélo-palestinienne, ou relations colons-colonisés, etc.).

Le problème de la formation des enseignant·e·s d’histoire a aussi été soulevée, à travers leur capacité à transmettre une lecture du présent à partir du passé ; ils et elles maîtrisent, certes, ces événements du passé (voire sont spécialistes d’une période du passé), mais ne disposent pas  toujours des outils pour s’en saisir afin de comprendre le présent

Finalement, toutes ces questions ont mis le doigt sur la difficulté pratique à intégrer dans un cours d’histoire toutes les préoccupations qui forment la base de l’ECM. Peut-être faut-il alors (dans une visée pragmatique et en revenant aux fondamentaux de la ‘global education’) non pas viser la révision du contenu des cours d’histoire de manière à ce qu’ils abordent une série d’enjeux ou de questionnements labellisés ‘citoyenneté mondiale’, mais plutôt concevoir l’histoire dans le cursus scolaire comme un lieu de débat critique, de mise en perspective, et de déconstruction des idées et narratifs qui soutiennent les processus identitaires.

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